Les entreprises au coeur de l'ecologie

Tristan Lecomte, PdG d'Alter Eco, nous parle de son engagement dans le commerce équitable

Avant d’être entrepreneur, Tristan Lecomte, étudiant à HEC, a créé l'association solidarité France Népal avant de travailler pour l’Oréal en Corée du Sud. S’il se reconnaissait assez dans cette entreprise, notamment dans sa prise en compte du développement durable, son travail (contrôleur de gestion et auditeur interne) ne l'intéressait pas. Il voulait entreprendre et être utile.
Il a donc quitté l'Oréal pour créer à Paris une association afin d’aider des associations, motivé notamment par le fait qu'il voyait France Népal partir chaque année et refaire les mêmes erreurs. Afin de faire fonctionner son association et de ne pas prendre aux associations l'argent qu'il récoltait pour elles, il a créé une première boutique de commerce équitable. Mais ce pôle associatif n'était pas bien adapté. En effet, si le besoin d'argent des associations était réel, elles n’étaient pas toujours suffisamment structurées pour bien l'utiliser.
De plus sa boutique, trop petite, ne marchait pas bien même si elle générait tout de même beaucoup d'intérêt, notamment par l'établissement d'un lien entre consommateur et producteur. Tristan Lecomte a alors décidé d’ouvrir une 2e boutique, plus grande, et un site Internet, qui eux aussi se sont soldés par un échec. Après avoir revendu son appartement, et grâce au soutien de ses proches et de ses partenaires financiers, il s’est lancé dans le projet AlterEco et la grande distribution.

Vous n'avez donc pas débuté par l'entreprenariat, mais vous avez fait un passage par la case associatif ?

Dés le départ c'était de l'entreprenariat social, pour moi le statut importe peu : coopérative, entreprise ou association. Le but était de créer une structure. Mon objectif premier était l'utilité sociale, et non un but lucratif.

Pourquoi le commerce équitable et non un autre secteur ?

Au départ je n’étais pas spécialisé dans le commerce équitable. Dans la boutique on faisait cyber café, on louait des vélos remis à neuf par des chômeurs au Havre, on vendait du commerce équitable. Ca partait dans tous les sens... Ce qui est intéressant c'est le lien entre commerce et utilité sociale. C'est ce qui fait que je peux utiliser mes compétences tout en me rendant utile.

Ce sont donc là les plus grandes joies de votre rôle d'entrepreneur ?

Oui, et c'est toujours le cas plus de 9 ans après. Et puis toute l'énergie que cela suscite autour, car tu deviens catalyseur d'énergies positives. Tout n’est pas rose bien entendu. Les 4 premières années n'étaient que des échecs, les boutiques, j'ai du revendre mon studio pour renflouer les dettes, tu mets ta carte dans le distributeur mais il n'y a pas d'argent qui sort...

Vous n'avez pas eu envie, alors, de retrouver un poste plus stable ?

Non je n'y ai jamais pensé. Tout le monde t'encourage. La presse notamment, on avait beaucoup de journalistes, la télé. J'étais aux Halles à l'époque, et les commerçants à côté me disaient : "C'est quoi ton truc? Tu n'as jamais personne dans ta boutique mais tu as toujours plein de journalistes"...Donc on suscite beaucoup d'intérêt, les gens viennent dans la boutique, ils n'achètent rien mais disent "bravo". Cela suffit à me motiver. Mon truc à moi ce n'est ni les décapotables, ni les gourmettes en or...

Qu'est-ce qui différencie AlterEco d’une association comme Artisans du Monde ?

Artisans du Monde à une démarche plus idéologique. Nous elle est pragmatique. Non pas que la leur ne soit pas utile, au contraire je pense qu'elles sont complémentaires.
Artisans du Monde est fait pour sensibiliser et mobiliser des activistes à la problématique de l'inégalité des échanges, aux thèmes de la consommation et de la citoyenneté, et plus généralement à l'éducation de l'environnement.
Moi je me suis dit que je pouvais apporter mon approche commerciale. C'est du militantisme par l'économique. Mais il ne faut surtout pas opposer les approche, d'ailleurs maintenant que l'on a développé nos ventes on retourne fortement vers la sensibilisation.
D'ailleurs, c'est pour ça que j'ai toujours continué à donner des cours, qu'on fait des conférences, que j'écris des livres (2 vont sortir bientôt) ou encore que l'on finance de la recherche fondamentale sur de nouveaux modèles économiques.
On essaye également d'informer sur les producteurs, et nos produits contiennent de nombreuses notes informatives. Je ne pense pas que l'on doive opposer entreprises et associations, mais au contraire aller vers la convergence.

Comment ces associations ont accueillit votre approche commerciale?

Au début c'était plutôt réservé, voir mauvais, mais j'y suis très certainement pour quelquechose car je suis arrivé avec une culture très différente.
Par définition leur démarche est plutôt contre le système, alors que moi j'essaie d'utiliser le système pour le changer. Donc ils ne pouvaient pas "m'accepter". Mais je respecte totalement leur approche et je pense qu'il faut des gens qui dénoncent le système actuel. Mais ce n'est pas la mienne, il fallait que je vive de mon activité, et ce qui m'intéresse c'est l'entrepreneuriat social.
Dans le secteur associatif il y a toujours ces discussions idéologiques autour de ceux qui disent qu'il ne faut pas faire, mais plutôt éveiller les consciences.

Et les entreprises "standard" ne vous ont-elles par pris pour un utopiste?

On a toujours été mis face à nos contradictions. Mais tant mieux car on les revendique.
On est toujours l'abbé Pierre de quelqu'un et le Bernard Tapie de quelqu’un d’autre. Pour mes collègues, pendant des années, j'étais l'Abbé Pierre, et pour les associations, j'étais un opportuniste dans leur domaine d'activité

Vous avez donc réussit à surmonter à la fois les échecs du début et les barrières à entrer dans le commerce équitable et la grande distribution

On a vite compris qu'il fallait utiliser le marché pour pouvoir développer les produits issus du commerce équitable. 90% des produits étant vendus en grande distribution, si tu ne vends pas dans ce circuit là, tu n'as pas de débouchés. Et bien que nous ayons des spécificités liées au commerce équitable, cela est valable pour tous les produits de grande consommation.
Toutes ces contradictions sont aussi ce qui fait l'intérêt du métier. Je n'ai pas envie d'être classé dans l'associatif ou le business. Je crois que l'on peut réconcilier les 2. On est de plus en plus dans une dimension de convergence. Regardez à Davos on parle des effets de la mondialisation, et au Forum Social ils comprennent que le mouvement altermondialiste doit proposer des solutions.

Est-ce que vous insufflez tout cela à vos employés? Sont-ils très sensibilisés au commerce équitable dès le début ?

Ils sont tous là pour le projet, c'est clair. Ils veulent un salaire, bien sûr, et on essaye de trouver l'équilibre économique, mais on n'a jamais eu de subventions ni de bénévoles. Parfois on a des difficultés, ou des questions. Doit-on augmenter les prix ? Mais on ne veut pas vendre trop cher pour que ce soit ouvert à tous. Ils vivent de tout ça, et on se définit comme l'entreprise qui ne fait rien comme tout le monde. Ca plait et ça motive ! Par contre celui que ça met mal à l'aise il ne faut pas qu'il vienne chez nous.

Cela nous permet d'ailleurs d'avoir un vrai axe de différentiation, dans un contexte où les grands distributeurs recherchent de la diversité dans l'offre. Si on fait comme tout le monde, on ne sert à rien !
Il faut titiller. Mais de manière positive. On essaye donc de marquer notre différence surtout pour être utile. Pour les producteurs (acheter mieux), vis-à-vis des consommateurs (susciter des réactions, donner du sens à l'achat) et vis-à-vis de la société civile (en développant un modèle économique viable et original). Par contre, le côté donneur de leçon cela ne sert à rien. Dresser les gens contre les autres, pauvres contre riches, Nord contre Sud, entreprises contre ONG, cela n'est pas productif, et cela ferme les mondes.
Au contraire, on permet de lier des mondes très éloignés. C''est ça qu'il est vital de développer. Nous montrons qu'il y a une vraie complémentarité entre le petit producteur et l'acheteur de la grande distribution, car le petit producteur est très pauvre mais à une excellente image, et le grand distributeur est très riche mais il a une mauvaise image. Donc, ensemble la rencontre paraît évidente...

Vous êtes en pleine croissance et rentable, vous avez 45 employés, pensez vous ouvrir votre capital, voir même entrer en bourse pour pérenniser l’entreprise ?

Le capital a déjà beaucoup évolué depuis le début de l’aventure, je ne possède d’ailleurs plus que 5% des parts. Notre activité nécessite beaucoup de cash car on préfinance les producteurs et on est payé tard. C’est le gros sujet de notre modèle économique.
J’ai toujours voulu qu’on ait un actionnariat très varié. Cela va du de la petite entreprise dans le Sentier, au pasteur, en passant par le fond d’investissement des céréaliers de France, le Crédit Coopératif, etc.… et tout le monde est invité. Nos actionnaires sont majoritairement des individus. Les fonds d’investissements ont limité leurs rendements internes (rendement sur leurs actions). Par exemple le Crédit Coopératif (entré en 2002) a sorti la moitié de sa participation, comme ils « avaient gagné trop d’argent », et ont reversé 100.000 euros aux employés d’AlterEco. Nous les avons reversé à l’association AlterEco qu’on a recréé pour l’occasion. La boucle est bouclée… Grâce à cet argent l’association AlterEco finance des projets à des producteurs qui n’ont pas accès à nos marchés (car ils produisent des produits non commercialisables chez nous).

Ca c’est l’actionnariat d’aujourd’hui. Les investisseurs veulent qu’AlterEco soit une faible partie de leurs investissements car nous sommes une petite société et c’est risqué. Et puis nous sommes un investissement socialement responsable donc nous ne voulons pas être un investissement sur lequel ils veulent absolument de la rentabilité.

Concernant l’entrée en bourse cela ne parait pas judicieux et nécessaire pour l’instant. On fonctionne différemment des entreprises traditionnelles et je ne suis pas certain que les analystes financiers se penchent trop sur nous.

On a tout de même une grande facilité à recruter des investisseurs privés (mais attention, on ne fait pas d’appel privé à l’épargne). On en a actuellement 70. Et c’est génial car ils nous ont suivis depuis le début, même quand on était en difficulté alors que les fonds nous auraient coupé les vivres depuis longtemps.

lire la suite de l'interview sur la partie écologique de l'activité d'Alter Eco !




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